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Thérèse – Du Groenland à la France, une navigation en famille

16 décembre 2022
Le Groenland en famille

Le Groenland en famille

Hello, hello,

Thérèse Fournier est autrice. Sa trilogie arabe – L’Olivier bleu, 2028, Nador – a été publiée en France et au Maroc et le dernier opus sortira bientôt sur les écrans. Grande voyageuse, ses nombreuses nouvelles ont rythmé les étapes de ses escapades.

En 2020, elle s’envole au Groenland avec son mari Pep et Lola, leur plus jeune fille de 19 ans, pour rapatrier le trawler d’un ami. Un trawler, c’est un bateau de plaisance à moteur qui ressemble à un petit navire de pêche.

Une mission exaltante pour cette famille qui a vécu la majeure partie de sa vie sur un bateau entre l’Espagne, le Maroc, l’Italie et la Tunisie.

Du Groenland à la France, en passant par l’Irlande, après une traversés de l’Atlantique Nord de 7 jours bien loin du long fleuve tranquille, c’est un périple peu commun qu’ils ont vécu et que la Captain en second va nous raconter.

Allez c’est parti pour le carnet de bord de Thérèse entre le Groenland et la France.

Avant le départ pour le Groenland en famille

C’est où le Groenland ?

Très loin de la France ! C’est la plus grande île de l’hémisphère nord. Le Nord du Groenland se situe à 500 km du Pole Nord. Il est long de 3 000 km et il est beaucoup plus proche du nord du Canada (environ 100 km), que de l’Europe à 4 000 km.

 

Pourquoi êtes-vous partie au Groenland en famille ?

En janvier 2020, lors de l’enterrement d’un tonton, un cousin navigateur, qui habite à Tahiti, me demande si je peux aller chercher son bateau au Groenland. C’est à la fois un challenge et une proposition. Ça reste dans un coin de ma tête mais je ne dis, à ce moment-là, ni oui ni non. J’en parle à mon mari, mais à peine.

Arrive la pandémie et cette proposition est devenue comme un graal, un but en soi et cela nous a permis de vivre beaucoup plus sereinement notre confinement car nous savions que nous allions partir après.

 

Sur quel bateau alliez-vous naviguer ?

L’Ariimoana est un bateau de 13 m avec une coque en strongall, aluminium très épais pour les navigations difficiles entre les glaçons, les icebergs qu’on peut cogner sans problème. Il a été conçu par les architectes comme une land rover donc très sécurisant.

Seul souci, il a passé 4 ans au Groenland en cale sèche.

 

Quel itinéraire aviez-vous défini ?

Nous sommes partis de la baie de Disco, à Ilulissat, avons traversé la baie de Baffin et le détroit de Davis au Groenland, puis l’Atlantique Nord, l’Irlande, la mer d’Irlande, et enfin la Manche pour arriver à Lorient sur la péninsule bretonne, soit 6 000 km !

Il fallait y aller en été, le temps est beaucoup plus clément et les glaces qui ferment les baies avaient cédé. Nous sommes donc arrivés un 17 juillet dans la baie de Disco, une baie protégée, très calme et ensoleillée Il faisait 15 degrés en journée, ce qui est bien car on était au-dessus du cercle polaire arctique, à 72 degrés de latitude nord et à proximité du glacier Jacobshavn, classé au Patrimoine de l’Humanité.

 

Est-ce que la préparation s’est faite avant de partir ou une fois sur place ?

Avant, par téléphone, pour lister tout ce qu’il y avait dans le bateau. Et heureusement un jeune glaciologue avait fait naviguer le bateau une ou deux fois pendant ces années.

 

Départ pour le Groenland en famille
Le Groenland en famille

Comment était le bateau quand vous êtes arrivés ?

Nous avons passé 2 jours à attendre que les chantiers ouvrent puis nous avons découvert le petit Ariimoana, le roi des mers, avec le directeur du chantier. Il faisait quand même abandonné avec une planche qui fermait la porte d’entrée mais il suffisait de s’en occuper pour qu’il reprenne des couleurs.

 

Et vous avez mis combien de temps à le remettre sur pied ?

Il a fallu recharger ses batterie, le mettre à l’eau, naviguer d’une rive à l’autre du port jusqu’à Greenland où nous avions une place pour préparer le bateau avant le départ.

 

Comment est l’ambiance du coin, comment sont les gens ?

Il n’y avait pas grand monde, il n’y avait plus de neige. Les maisons colorées sont en pierre et construites sur pilotis : il y a une structure de bois qui est posée sur la pierre, longée d’escaliers qui permettent d’aller d’un endroit à un autre. Il y a quelques rues mais pas beaucoup, et pas d’arbres car on est au-delà du cercle polaire.

En hiver, il y a au moins un jour où le jour ne se lève jamais, le contraire en été.

Il y a des supermarchés, des restaurants, pas beaucoup, on entend les chiens aboyer car ils sont au repos et donc ça résonne dans la montagne.

 

Combien de temps après votre arrivée avez-vous pris la mer ?

Une semaine. C’est court mais on était pris par le temps et même si on n’était pas en retard, on avait une mission à accomplir donc on n’a pas trainé.

On s’est mis à ranger le bateau, jeter les boites de conserve qui dataient de 2017 et à organiser notre espace.

 

Comment vous vous êtes organisés à bord, qui fait quoi ?

Pep, mon mari, est le captain, responsable de la technique, du fait que le moteur et tous les instruments marchent.

Moi, le second, capable de faire tout ce que fait le captain en cas de manquement, je suis à la vie quotidienne, ménage, ordre, repas, courses, cambuse, et Lola, notre troisième fille de 19 ans, marin, habilitée notamment au rangement de la cambuse,

Lola venait de terminer sa première année universitaire de biologie, on avait besoin d’être 3 et c’était l’occasion de renouer avec une aventure familiale.

 

Combien de temps prévoyez-vous d’être en mer totalement ?

Il y a d’abord toute la côte groenlandaise de la baie de Disco au cap Farvel qui est la pointe extrême sud, après Nanortalik, nortre dernière escale. Là nous sommes tous les jours ou tous les jours et demi dans un port, où nous pouvons faire le ravitaillement et de l’essence, ce qui dure à peu près 8 jours. Puis 8 jours d’Atlantique Nord sans pouvoir toucher terre, et où il faut passer.

 

Navigation en famille le long des côtes groenlandaises
Le Groenland en famille

De la baie de Disco à Aasiaat

On n’avait pas vraiment d’idée de ce qui nous attendait sur la mer groenlandaise après la baie de Disco, qui était assez paradisiaque avec les icebergs qui glissaient. Puis dès le premier arrêt à Aasiaat, nous constatons que le temps se couvre, il y a de plus en plus de brouillard…

On arrive à une autre sorte de mer, moins accueillante avec d’énormes icebergs qui se baladent, et donc nous commençons à pratiquer une navigation de bernard l’hermitte, cad que nous essayons d’aller à terre le soir, et de naviguer le jour, ce qui n’a pas toujours été possible.

 

Le problème des hauts fonds

Après Aasiaat, on a l’impression que le sondeur ne signale pas les hauts fonds et puis on a beaucoup de mal à trouver les ports car la cartographie du Groenland n’est pas définitive et nous finissons par talonner donc à nous retrouver sur un rocher car un haut fond n’était pas signalé. Ça fait un bruit épouvantable. Pep arrive à faire redémarrer le bateau mais on a peut-être quelque chose de tordu donc il faut aller à Sisimiut pour trouver une cale sèche.

Heureusement la coque en strongall qui fait 22 millimètres d’épaisseur a joué son rôle. Je remercie cette coque d’ailleurs car elle m’a toujours donné un sentiment de protection.

Donc là on voulait s’éloigner de cette côte car on nous a confirmé qu’il y a beaucoup de haut fonds non signalés, et des algues de 15-20m de long qui peuvent occulter le travail du sondeur. C’est ce qu’on a fait mais on ne pouvait du coup rejoindre Sisimiut qu’en navigant toute la nuit. La mer était assez formée, c’était donc assez sportif !

 

Sisimiut

On sort le bateau de l’eau et heureusement rien n’est cassé. On reste un jour ou 2 pour faire le plein et prendre une douche dans une maison du marin. Ce sont des endroits très agréables à disposition dans de nombreux ports. Car nous n’avions pas de douche à bord, ce qui n’était pas un problème pour nous. Une bassine suffit.

C’est là que nous avons croisé des baleiniers. Au Groenland, on peut pécher la baleine de Minke, en respectant les quotas, et la manger.

 

Maniitsoq

On y trouve un observatoire à baleines, des supermarchés très bien achalandés avec tous les légumes et fruits venant de tous les coins de la planète, donc pas donnés. Ils vendent du mouton groenlandais, avec lequel j’ai fait un pot-au-feu pendant la traversée, et des barquettes de baleine, de phoque, de narval.

Nous avions goûté du mattak à Ilulissat, de la peau de baleine. Il y a à la fois la peau dure, le gras et un peu de chair, c’est élastique on a un peu l’impression de manger le doigt de sa voisine, donc ce n’est pas très bon 😀

La baleine en elle-même ressemble plus à du steak qu’à du poisson, ce n’est pas persillé du tout, donc sans graisse, et c’est un peu doucereux. Ça n’a pas plu à Lola qu’on mange de la baleine mais nous avons voulu faire comme les Groenlandais, par désir de mieux les connaître et les comprendre.

 

De Nuk au cap Fervel

On passe par Nuuk, la capitale, ou Godthab, le port de l’espérance par lequel sont arrivés les Danois, Paamiut puis Nanortalik.

Les choses ont un peu changé déjà, il y a des arbres, il fait de plus en plus nuit, 2h, 3h, 4h… et c’est là qu’on découvre que c’est bien quand il ne fait pas nuit. C’est comme pour les enfants, la nuit c’est un peu angoissant.

La côte est beaucoup moins accueillante, plus déchirée, un peu fin du monde. Vous avez des pics enneigés au loin avec une lumière rouge rasante, c’est féérique, on se croirait dans Game of Thrones, et plus on s’approche du cap Farvel plus ce côté fin du monde est présent.

Et donc nous faisons le plein de gasoil et de nourriture à Nanortalik, on fait une soirée dans un bistrot et un matin nous prenons la mer. Il nous reste 6-7h de navigation en longeant la côte jusqu’au cap Farvel. Les Anglais disent Cap Farewell, en référence à une chanson mais en fait c’est Farvel qui veut dire adieu en danois.

 

La traversée de l’Atlantique Nord
Le Groenland en famille

Advienne que pourra

On a pris toutes les météos possibles, mais un prévisionnel sur 8 jours c’est trop long, et quoi qu’on fasse, on a dépression et anticyclone. Mais quand on est dans une action, on fait ce qu’il faut.

Donc un soir de fin juillet, on passe le cap Farvel et on rentre dans la nuit de l’Atlantique Nord en serrant bien à l’est pour arriver le plus vite possible.

On découvre une mer formée et ce qu’est l’Atlantique Nord, cad ce qu’est une mer qui n’a aucune limite ! Jusqu’à présent on avait la baie de Baffin, le détroit de Davis, une mer qui dépend plus des reliefs sous-marins. Et c’est ça qui est très intéressant car l’état de la mer dépend de ces reliefs. Donc le grand thème c’était la dorsale de Reykjane, le nord de la dorsale médio-atlantique.

 

La puissance de la mer

La mer était énorme tant qu’on était à l’ouest de cette dorsale. J’avoue que j’étais très impressionnée. Il faut se mordre la lèvre pour ne pas hurler de peur, car ce sont des montagnes d’eau. Le bateau arrivait en haut de la montagne d’eau et prenait le double de sa vitesse en la dévalant. J’ai toujours respecté la mer et reconnu sa puissance.

Et puis vous êtes dans votre bateau avec votre famille et il n’est pas question d’avoir peur, il faut la maitriser car le bateau marche et vogue la galère. Je me souviens de mon 1er quart avec des monceaux d’eau et que où qu’aille mon regard, c’était cette mer énorme. On a navigué avec cette houle d’ouest, c’est le bateau qui a fait la navigation avec nous mais c’est aussi cette mer qui nous a poussés jusqu’en Irlande.

 

Après Reykjane

On passe sur le plateau de Rockall, le rocher de Rockall, et c’est un nouveau contexte. Voyager sur la mer, avec tous les reliefs sous-marin, c’est comme voyager sur la terre.

Après Farvel, on avait tout scotché pour empêcher l’eau de rentrer, on était comme dans une capsule prêt à aller sur la lune. Mais j’aimais beaucoup aller sur le pont arrière pour éplucher les légumes, faire la vaisselle, c’était ma respiration. Et ce n’est qu’au plateau de Rockall, après 4-5 jours de navigation, que le temps a été beaucoup plus clément et qu’on a pu dé-scotché. C’est là aussi que les dauphins sont apparus. Ils ont été d’une grande compagnie. L’Atlantide serait située dans ce secteur.

 

Comment Lola a-t-elle vécu cette traversée ?

Elle a eu 2-3 jours assez difficiles où elle n’était pas à l’aise, où elle a eu peur, et puis après elle a accepté.

 

Tempête électrique

Avant d’arriver en Irlande, nous avons eu une tempête électrique qui a déréglé le GPS, on a cru qu’on s’était trompé, qu’on est au milieu de hauts fonds et qu’on n’arrive plus à s’en sortir. C’était assez dur mais comme à chaque fois qu’il y a un danger, on fait ce qu’il y a à faire sans se poser de question et on avance.

 

Navigation en duo le long de l’Irlande
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On est arrivés par la côte nord, un 17 août, à Ballycastle, puis on est rentrés dans la mer d’Irlande, c’est là que Lola nous a quittés.

On voulait faire Dublin mais les conditions d’entrée étaient encore compliquées à cause du Covid. Comme au Groenland, déclarée green zone, ils ne voulaient pas trop que des étrangers entrent sur l’île. Donc un marin, pas très correct, nous a empêchés d’accoster et nous sommes partis dans le canal de Bristol.

Mais une tempête s’annonçait.

On s’est retrouvés dans cette zone de Swansea sans savoir que c’est celle qui a le plus haut marnage du monde (différence entre la pleine haut et la basse eau), 14-15 m, c’est énorme.

Il faisait sombre, on ne voyait pas la côte et on est tombé sur un haut fond. C’était une erreur de navigation, sans doute due à la fatigue, car en Europe tout est signalé. Donc on talonne une fois de plus et on appelle les secours car on ne pouvait plus bouger.

Nous avons donc été remorqués jusqu’à Swansea, qui se trouve dans une écluse, mais comme elle était fermée pour cause de basse mer, on nous a amarrés à une grosse bouée juste devant. Ce qui n’a pas été de toute repos quand la tempête est arrivée.

On a ensuite attendu la réparation de notre safran pendant 3 semaines et nous avons continué sur Lands’ End.

 

L’arrivée à Lorient
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On traverse la Manche jusqu’à Ouessant, Sains… La Bretagne est un enfer de navigation, de rochers même si tout est signalé les côtes bretonnes sont très dangereuses. Nous avons contourné les Glénants puis avons débarqué à Lorient.

L’Ariimoana est arrivé à bon port.

 

Qu’est-ce qui est important dans une navigation ?
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Les repas ! il faut prendre au moins un repas commun par jour, enfin 2 sur 3. Le ménage aussi car même si on vit un moment extraordinaire, il faut créer une routine et on se sent mieux quand tout est rangé.

 

Quel état d’esprit aviez-vous à l’arrivée ?
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Tranquille, mission accomplie. On est contents car tout s’est bien passé. On retrouve les plaisirs de la terre comme aller au restaurant.

 

Quel bilan après cette belle navigation au départ du Groenland en famille ?

Je pense que quand on vit des aventures maritimes, on régénère toutes ses énergies, positives et négatives et on arrive en très bonne forme énergétique.

C’était une formidable aventure en famille et de solidarité de marins. À un moment donné vous n’êtes plus un membre de la famille mais un marin qui doit tenir et Lola a fait preuve de beaucoup de courage. Il n’a jamais fallu la remplacer quand elle ne se sentait pas bien, elle a assumé.

Ça s’est vraiment inscrit dans notre histoire et j’en ai même écrit un livre que j’ai commencé en attendant le safran à Sweansea.

 

Le livre

Groenland, récit d’une navigation, aux Éditions L’Harmattan

 

Retrouvez Thérèse

 

Et pour finir

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On se retrouve la semaine prochaine pour un nouvel épisode.

D’ici là, prenez soin de vous, inspirez-vous et créez-vous de chouettes souvenirs en famille !

 

Stéphanie

Crédit music : Luk & Jo

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